Invalidité – la prescription extinctive court à compter de l’arrivée de chacun des termes mensuels prévus dans le contrat

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La cour d’appel confirme qu’il n’y a pas prescription du recours pour les prestations d’assurance invalidité dues depuis moins de 3 ans :

Jacques c. La Capitale assureur de l’administration publique inc. (C.A., 4 mai 2020) Le juge de première instance s’est trompé en concluant que la totalité de la réclamation portant sur les prestations d’invalidité totale échues depuis le 17 janvier 2013 était prescrite à la date où la demande en justice de l’assuré a été déposée. La garantie d’assurance invalidité est, à compter du moment où l’invalidité survient, une obligation à exécution successive et le délai de prescription extinctive court à compter de l’arrivée de chacun des termes mensuels prévus dans le contrat.

EYB 2020-353091 – Résumé

Cour d’appel

Jacques c. La Capitale assureur de l’administration publique inc.
200-09-009923-191 (approx. 13 page(s))
4 mai 2020

Décideur(s)

Chamberland, Jacques
Cotnam, Geneviève
Rancourt, Jocelyn F.

Type d’action

APPEL d’un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli en partie une demande en irrecevabilité. ACCUEILLI en partie.

Indexation

TRAVAIL; ASSURANCES; ASSURANCE COLLECTIVE; INVALIDITÉ TOTALE; PRESCRIPTION; PRESCRIPTION EXTINCTIVE TRIENNALE; réclamation de prestations d’assurance invalidité totale pour la période subséquente aux 24 premiers mois d’invalidité; réclamation jugée prescrite par le juge de première instance; COMPUTATION DU DÉLAI; DATE DE L’EXIGIBILITÉ DE L’OBLIGATION À EXÉCUTION SUCCESSIVE; erreur du juge; réclamation non entièrement prescrite; obligation à exécution successive; prescription extinctive courant à compter de l’arrivée de chacun des termes mensuels prévus dans le contrat; réclamation non prescrite en ce qui a trait aux prestations mensuelles échues après le 4 mai 2015; refus bien fondé du juge de repousser le point de départ du délai de prescription au 26 juillet 2017; assuré informé du refus définitif de payer de l’assureur le 19 décembre 2013, et non le 26 juillet 2017; question relevant de l’appréciation des faits; absence d’erreur justifiant une intervention en appel;

Résumé

Les juges Chamberland, Rancourt et Cotnam. L’appelant interjette appel du jugement qui a accueille en partie la demande en irrecevabilité de la compagnie d’assurance intimée (l’assureur) et qui a rejeté, au motif de prescription, le volet de sa réclamation portant sur le versement des prestations d’invalidité. Les deux moyens d’appel qu’il soulève touchent à la question du point de départ de la prescription.

Dans un premier temps, l’appelant plaide que l’obligation de l’assureur de verser des prestations mensuelles aux termes de la garantie d’assurance invalidité en est une à exécution successive et que la prescription extinctive de trois ans court à compter de chacun des versements périodiques. Le juge s’est donc trompé en concluant que la totalité de la réclamation relative aux prestations d’invalidité échues depuis le 17 janvier 2014 était prescrite lorsque le recours a été institué, le 4 mai 2018. Il aurait à tout le moins dû conclure que le recours n’était pas prescrit pour les prestations mensuelles échues après le 4 mai 2015. L’appelant a raison. La garantie d’assurance invalidité est, à compter du moment où l’invalidité survient, une obligation à exécution successive et le délai de prescription extinctive court à compter de l’arrivée de chacun des termes mensuels prévus dans le contrat.

L’appelant ajoute — et c’est là son deuxième moyen d’appel — que le point de départ de la computation du délai a toutefois été retardé jusqu’au 26 juillet 2017, date du refus définitif de l’assureur de payer. Aussi, sa réclamation ne serait-elle pas prescrite, même pour les prestations mensuelles échues avant le 4 mai 2015.

Il arrive que des discussions se poursuivent entre l’assureur et l’assuré (ou l’adhérent) au sujet de la garantie d’assurance. Dans ce cas, les auteurs et la jurisprudence reconnaissent qu’il y a lieu de retarder le point de départ du délai de prescription jusqu’au refus définitif de l’assureur de payer (vu le caractère prématuré d’un recours aux tribunaux alors que les parties se parlent toujours). Ainsi, il peut arriver que le refus de l’assureur survienne alors que plusieurs prestations périodiques sont échues et exigibles. Dans ce cas, le report de la date de départ du calcul de la prescription s’appliquera à toutes ces prestations. Précisons qu’il ne vaudra pas, cependant, pour les prestations futures, lesquelles seront, chacune, assujetties à un délai de prescription calculé à partir d’une date différente. En d’autres mots, le refus définitif de l’assureur permet de repousser dans le temps le point de départ du calcul de la prescription, mais non de le devancer à une date antérieure à celle où la prestation d’invalidité devient née et exigible. En l’instance, le juge de première instance n’a pas souscrit à l’argument de l’appelant voulant que l’assureur lui ait communiqué son refus définitif uniquement le 26 juillet 2017. Le juge conclut que le refus de l’assureur date du 19 décembre 2013 (avec un dernier versement fait le 17 janvier 2014). Pour lui, la décision du TAQ du 29 mai 2017 qui annule la décision de Retraite Québec et qui reconnaît l’invalidité totale de l’appelant ne change rien à cette réalité. Il estime en effet que les échanges qu’ont eus les parties entre le moment où le TAQ a rendu sa décision déclarant l’appelant totalement inapte et le 26 juillet 2017, date à laquelle l’assureur a avisé l’appelant par lettre qu’il maintenait sa décision (du 19 décembre 2013) au motif que les renseignements reçus à ce jour ne lui permettaient pas de conclure que sa condition médicale l’empêchait d’effectuer tout emploi rémunérateur, ne constituaient qu’une contestation, de la part de l’appelant, de la décision que l’assureur lui avait déjà communiquée le 19 décembre 2013. Or, l’appelant ne fait pas voir d’erreur qui justifierait une intervention en appel. La question est essentiellement factuelle et la décision du juge s’appuie sur les procédures et les pièces au dossier. Le fait que, dans sa procédure, l’appelant ait qualifié de « refus définitif » la lettre de juillet 2017 n’est pas déterminant. Les qualifications juridiques faites par les parties dans leurs procédures ne sont pas tenues pour avérées dans le cadre d’une demande en irrecevabilité. Dans sa lettre du 19 décembre 2013, l’assureur indique clairement à l’appelant qu’il cessera le versement des prestations dès l’échéance des 24 premiers mois, soit à compter du 17 janvier 2014, et il explique pourquoi il en arrive à cette décision. L’appelant plaide que la preuve administrée lors de l’instruction au fond serait susceptible d’éclairer le tribunal sur le traitement du dossier à l’interne par l’assureur. Cependant, ce qui importe réellement, ce sont les communications entre les parties, qui permettent de déterminer à quelle date l’appelant a pu conclure que l’assureur refuserait définitivement de verser les prestations d’invalidité totale au terme des 24 premiers mois. Ici, cette date est le 19 décembre 2013. Il n’y a donc pas lieu de repousser au 26 juillet 2017 le point de départ de la computation du délai de prescription.

L’appel est donc accueilli à la seule fin de préciser que la partie de la demande qui porte sur le versement des prestations d’invalidité est rejetée « pour les prestations échues entre le 17 janvier 2014 et le 3 mai 2015 ».

Suivi

  ·  Nos recherches n’ont révélé aucun suivi relativement au présent jugement.

Décision(s) antérieure(s)

  ·  C.S., Québec, no 200-17-027739-184, 30 novembre 2018, j. Simon Hébert, EYB 2018-305672

Jurisprudence citée

1. Allard c. Mutuelle S.S.Q., EYB 1984-142645, 1984 CarswellQue 567, J.E. 84-766 (C.A.)
2. Bohémier c. Barreau du Québec, EYB 2012-202264, 2012 QCCA 308, J.E. 2012-531 (C.A.)
3. Bourdeau c. Assurance-vie Desjardins, EYB 1989-77191, [1989] R.R.A. 639, J.E. 89-1175 (C.S.)
4. Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux, [2014] 2 R.C.S. 477, 2014 CSC 49, EYB 2014-239851, J.E. 2014-1292
5. Centre de santé et de services sociaux de l’Énergie c. Maison Claire Daniel inc., EYB 2012-213641, 2012 QCCA 1975 (C.A.)
6. Fanous c. Gauthier, EYB 2018-290870, 2018 QCCA 293 (C.A.)
7. Gélinas c. Desjardins Sécurité financière, C.Q. Beauharnois, no 760-32-013898-103, 1 novembre 2011, j. Montpetit, 2011 QCCQ 15403
8. Guimont c. Bussières, EYB 2019-307476, 2019 QCCA 280 (C.A.)
9. Lacour c. Construction D.M. Turcotte TRO inc., EYB 2019-312527, 2019 QCCA 1023 (C.A.)
10. Lacroix c. Assurance-vie Desjardins inc., REJB 1997-04228, [1998] R.R.A. 121, J.E. 98-436 (C.S.)
11. Parent c. Excellence, compagnie d’assurance-vie, REJB 2000-17846, AZ-50071428 (C.Q.)
12. Pellerin Savitz s.e.n.c.r.l. c. Guindon, [2017] 1 R.C.S. 575, 2017 CSC 29, EYB 2017-280716
13. Poirier c. Compagnie d’assurance du Canada sur la vie, C.Q. Baie-Comeau, no 655-32-002118-036, 5 avril 2004, j. Tremblay, 2004 CanLII 91691, AZ-50229483
14. Vézina c. Industrielle-Alliance (L’), compagnie d’assurance sur la vie, C.S., 1999, AZ-00026056

Doctrine citée

1. BAUDOUIN, J.-L. et JOBIN, P.-G., Les obligations, 7e éd. par Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2013, 1934 p., no 1127, p. 1356
2. BERGERON, J.-G. et RAYNEAULT, N., Précis de droit des assurances, Sherbrooke, Éditions Revue de droit, Université de Sherbrooke, 1996, x, 310 p., p. 283
3. COTNAM, G., « De l’exécution du contrat d’assurance en assurance de personnes » dans Commentaires sur le droit des assurances : Textes législatifs et réglementaires, Sébastien Lanctôt et Paul A. Melançon (dir.), 3e éd., Montréal, LexisNexis, 2017, p. 115
4. GILBERT, M., L’assurance collective en milieu de travail, 2e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2006, no 382, p. 264
5. HARDY-LEMIEUX, S., L’assurance de personnes au Québec, Montréal, LexisNexis, 1991, édition à feuilles mobiles, m.-à.-j. no 135, octobre 2019, nos 5-100
6. JOBIN-LABERGE, O. et LAFORTUNE-BÉLAIR, M., « Prescription extinctive » dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », vol. « Preuve et prescription », fasc. 22, Pierre-Claude Lafond (dir.), Montréal, LexisNexis, 2008, édition à feuilles mobiles, m.-à.-j. no 20, juin 2019, no 61, p. 22-25
7. MARTINEAU, P., La prescription, coll. « Traité élémentaire de droit civil », Montréal, P.U.M., 1977, xxxii, 413 p., p. 252
8. PARADIS, S. et BLANCHETTE, G., « La prescription en matière d’assurance-invalidité » dans 3e conférence sur la gestion des litiges de réclamations d’assurance invalidité, Toronto, Institut canadien, 2002, p. 12-14, 19

Législation citée

1. Code civil du Bas Canada, C.c.B.C.
2. Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, art. 1383 al. 2, 2435, 2880
3. Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01, art. 168 al. 2, 168 al. 3, 538